Retail luxe sur mesure
Texte par Laurence Picot
27.09.13
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Le casse-tête des industries du luxe ? Comment inciter des milliers d’acheteurs à entrer chaque jour dans une boutique tout en préservant le sentiment d’exclusivité qui doit se dégager des lieux. La tendance est aux Méga Maisons, une invention des architectes de Carbondale. Texte de Laurence Picot.
Les hautes fenêtres de Carbondale dominent la statue équestre de Louis XIV sur la place des Victoires à Paris. Clin d’œil perpétuel que de faire face à l’inventeur historique des industries du luxe, et signer les temples actuels érigés à leur gloire. L’étiquette si chère au roi Soleil n’est pas de mise pour rencontrer Eric Carlson. Il suffit qu’il soit là. Discret et aussi simple que son mode de locomotion habituel, un vélo, l’architecte américain reçoit autour d’une table avec son associé français Pierre Tortrat, environnés des croquis de leurs projets de flagships. Responsabilité énorme, ils incarnent la sacro-sainte image de chaque marque tout en générant une rentabilité astronomique. « Les architectures destinées à devenir les écrins des industries du luxe sont assurément sur mesure. » Après avoir travaillé pour l’urbaniste Peter Calthorpe à San Francisco, l’architecte barcelonais Oscar Tusquets, puis le célèbre hollandais de OMA, Rem Koolhaas, Eric Carlson a co-fondé et dirigé durant sept ans le département d’architecture chez Louis Vuitton. Des vitrines à l’architecture intérieure, il est passé à l’ensemble du lieu de vente, extérieur compris. Il fut aux premières loges pour appréhender les métamorphoses du luxe. Il s’agit en effet d’un public toujours plus important et d’une exclusivité à préserver.
Architecture inclusive-exclusive
Dessins de l’évolution de la conception des boutiques et magasins, Carbondale Studio / Eric Carlson
Dessins de l’évolution de la conception des boutiques et magasins, Carbondale Studio / Eric Carlson
×En 2004, il fonde sa propre agence Carbondale tout en mettant au point un concept innovant face à cette problématique : l’architecture inclusive-exclusive. Augmenter les surfaces d’accueil tout en aménageant à l’intérieur des pièces intimes comme dans une immense demeure particulière. Ce sera la Méga Maison. Il signe les magasins Vuitton d’Omotesando, Roppongi et Aoyama au Japon puis à Séoul, et le modèle absolu du genre avec le vaisseau amiral LV sur les Champs-Élysées en 2010 qui réalise ses 20 000 euros de chiffre d’affaires quotidiens. Carbondale s’illustre dernièrement avec deux Brand Stores Longchamp à Hong Kong, dont l’un symboliquement nommé Maison 8, chiffre mythique en Asie incarnant le symbole de la prospérité.
Louis Vuitton Store, Midland Square, Nagoya (Japon)
Louis Vuitton Store, Midland Square, Nagoya (Japon)
׫Du XVIIIe à la fin du XIXe siècle, les Maisons de luxe possèdent de petites boutiques familiales dont la taille des ouvertures sur la rue sont proportionnellement inverse à leur notoriété, élitisme oblige. Puis, leur expansion s’accompagne de comptoirs dans les premiers grands magasins et les pays étrangers. Cette typologie reste valable jusque dans les années 1980. La démocratisation du luxe engendre une envolée de ce type d’industries. Il faut accueillir, s’ouvrir, effacer les frontières… Cela donne naissance aux espaces de vente de plus en plus grands, de plus en plus vitrés pour laisser voir aux passants l’intégralité des produits proposés. On voit s’élever des buildings translucides au nom des marques les plus connues. Seulement voilà, les clients du luxe ne sont pas ceux des produits de masse. Les nouveaux ‘open spaces’ du luxe risquent de s’apparenter à des supermarchés chics et effacer toute sensation d’exclusivité. En 2005, le modèle s’écroule. Le public visitait les boutiques comme un musée, et les chiffres d’affaires se réduisaient comme peau de chagrin. Que faire? Les Méga Maisons.» L’évolution des points de vente du luxe selon Eric Carlson, et son coup de crayon qui vaut mille mots.