Hélène Binet — À l’origine de nouvelles pratiques
Texte par TLmag
Brussels, Belgique
25.02.15
Reconnue comme l’une des plus grandes photographes d’architecture actuelles, Hélène Binet travaille exclusivement en argentique. Dans un style qui n’appartient qu’à elle, cette artiste franco-suisse a immortalisé certains des projets les plus monumentaux du dernier quart de siècle et collaboré avec de grands noms de l’architecture tels que David Chipperfield, Peter Eisenmann, Peter Zumthor et bon nombre d’autres grands maîtres contemporains. Elle a également offert de nouvelles perspectives sur certains des plus grands joyaux des temps modernes, comme la maison de la Culture d’Helsinki (Aalto Kulttuuritalo) ou encore l’église Saint-Pierre de Firminy, conçue par Le Corbusier.
Ses clichés font voyager l’observateur au travers d’univers urbains en perpétuelle mutation et de paysages hétéroclites. TLmag s’est entretenu avec Hélène Binet au sujet de son travail, de son dialogue avec les architectes, mais aussi de ses derniers succès et de ses liens tissés depuis longue date avec la galerie Ammann à Cologne.
TLmag: Vous avez immortalisé le processus de construction du centre culturel Heydar Aliyev, dessiné par Zaha Hadid. Quelle est généralement votre démarche?
Hélène Binet: C’est la phase de construction d’un bâtiment qui me fascine le plus. Je cherche toujours à capter l’essence des constructions, qui transparaît d’une certaine manière à travers leur squelette, même si certains édifices ne se prêtent pas à cette approche. Zaha Hadid et d’autres architectes qui travaillent avec le béton ont recours à d’incroyables procédés de moulage qui génèrent des espaces négatifs. Je cherche également à capter la beauté d’erreurs frappantes, des détails que l’on ne trouve que sur des sites en travaux. La notion d’impossibilité se trouve au cœur de mon travail. Les espaces sont de complexes réalités dont nous faisons l’expérience avec tous nos sens. Je voudrais que l’observateur rêve ou imagine ce qui n’apparaît pas dans le cadre ; les outils que j’emploie pour suggérer le hors-champs sont la lumière ou la matérialité. L’exclusion constitue en effet la base de mon travail de photographe.
église Saint-Pierre, Firminy, France, arch. Le Corbusier
église Saint-Pierre, Firminy, France, arch. Le Corbusier
×TLmag: Lorsque vous avez photographié le musée juif de Berlin, conçu par Daniel Libeskind, quel était le message que vous souhaitiez faire passer?
HB: Tout est question d’interprétation, surtout dans le cas d’un édifice aussi symbolique et éloquent. En me fondant sur les idées de Daniel Libeskind, j’ai utilisé la lumière pour donner corps au concept de l’absence, que l’architecte a réussi à exprimer par des fenêtres aux formes austères évoquant l’ouverture vers d’autres espaces où l’on isolait les prisonniers pendant l’holocauste. La description en elle-même ne fait pas partie de mes préoccupations ; je cherche plutôt à faire surgir la possibilité de l’envisager sous différents angles.
TLmag: Comment traduisez-vous cette approche dans votre série de photographies de paysages?
HB: À mes yeux, l’objet de la photographie – paysages ou architecture – est indifférent ; en revanche, ce que je cherche toujours à capter, c’est l’idée de fragmentation, ce que l’on voit en marchant ou ce qui change. Les villes sont toutefois plus délicates à immortaliser, dans la mesure où notre relation aux bâtiments se fait de façon plus naturelle. L’empreinte du temps est moins évidente dans la nature. Prenons l’exemple d’un cliché de Berlin que j’ai pris dans les années 1980 ; si l’on reprenait la même photo aujourd’hui, le contraste serait saisissant.
TLmag: Pourquoi n’utilisez-vous pas le numérique ?
HB: Les contraintes me permettent de travailler avec mes mains et d’exprimer ainsi ma pensée. Il s’agit d’un mode de fonctionnement plus radical qui me permet de donner le meilleur de moi-même. J’aime également l’aspect brut de la pellicule, dont les tirages n’auront jamais la brillance ou la perfection des images retouchées. La discipline est clé : la photographie numérique traduit une manière de voir le monde diamétralement opposée.
TLmag: Que signifie pour vous le fait de recevoir en 2015 le prix d’excellence en photographie de l’Institut Julius Shulman et de participer à l’exposition Constructing Worlds au Barbican Center à Londres?
HB: Il est remarquable de considérer la photographie d’architecture comme une discipline à part entière, comme une façon de percevoir le monde qui nous entoure, même si celle-ci n’est pas toujours reconnue. Ce prix et cette exposition récompensent tous deux notre travail, le mien et celui de mes collègues.
TLmag: Pourriez-vous décrire votre collaboration avec Gabrielle Ammann et la galerie Ammann?
HB: Nous collaborons de façon continue depuis 2009. La galerie Amman ne se limite pas au design, mais expose également des pièces d’architecture et d’autres œuvres qui métissent la définition de l’art. Alors qu’elle exposait une sélection des meilleures œuvres en édition limitée de Zaha Hadid, Gabrielle Ammann m’a contacté pour me demander d’exposer des photographies que j’avais prises de ses projets. Depuis lors, elle présente mes derniers travaux aussi bien dans sa galerie que dans le cadre d’évènements internationaux.
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