TLmag a eu le privilège de s’entretenir avec Ingo Maurer sur cette étonnante aventure de création qui le porte aujourd’hui, sans s’écarter de la lumière, à créer de véritables architectures. L’ange, c’est Lucellino bien sûr ! La célébrissime ampoule électrique parée de ses ailes faites de plumes blanches, et retenue par un simple fil électrique de couleur rouge. Un objet culte du design, dont la simplicité et la poésie n’ont d’équivalent que parmi les autres créations d’Ingo Maurer. L’ange, c’est aussi cet artiste immense qui, avec modestie et application, nous éclaire de mille solutions astucieuses, depuis un demi-siècle, avec des créations toujours surprenantes, et aussi évidentes que les sourires qu’elles suscitent. PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-PHILIPPE PEYNOT

Lucellino Tisch, 1992 Photo: Tom Vack and Team © Ingo Maurer GmbH

Ingo Maurer: La lumière de l’ange | Personnes

Lucellino Tisch, 1992 Photo: Tom Vack and Team © Ingo Maurer GmbH

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TLmag : Vous avez fait des études de typographie et de graphisme, en Suisse et en Allemagne, dans les années 1950, alors que l’aventure du Bauhaus se poursuivait à l’école d’Ulm et que l’industrialisation battait son plein. Ce contexte a-t-il été déterminant dans la mise en place de votre travail ?

Ingo Maurer : Non, l’influence du Bauhaus n’était pas trop pesante, si c’est ce que vous voulez dire. J’ai commencé comme apprenti dans un journal quand j’avais quinze ans, rien d’extraordinaire, et j’ai réussi plus tard à entrer dans une école de design graphique, où nous étions formés pour des emplois « terre à terre ». À cette époque, la plupart des familles avaient encore des difficultés matérielles. En devenant typographe et graphiste, j’ai appris beaucoup de choses que j’applique dans mon travail de conception. L’espacement entre les lettres et autres éléments graphiques est lié à la lumière, et puis la précision nécessaire lorsque l’on travaille à la conception graphique m’a appris la rigueur, qui est essentielle pour affiner tous les détails d’une pièce.

Broken Egg, 2014 Photos: Tom Vack and Team © Ingo Maurer GmbH

Ingo Maurer: La lumière de l’ange | Personnes

Broken Egg, 2014 Photos: Tom Vack and Team © Ingo Maurer GmbH

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TLmag : Vous êtes un créateur, mais vos créations se limitent à des luminaires, et de plus vous en êtes aussi l’éditeur et le distributeur. N’avez-vous jamais ressenti un manque de liberté, l’envie de vous éloigner un peu des luminaires, voire du design, pour créer avec moins de contraintes ?

I.M.: En fait, j’ai aussi conçu quelques autres objets, dans les années 1960, comme les cendriers, les cintres, et une fois même un matelas pliable, qui est également un siège. Il est toujours en production, mais par une autre entreprise et non par nous-mêmes. Travailler avec la lumière est devenu de plus en plus fascinant pour moi, au fur et à mesure que je créais des lampes et découvrais ainsi les différentes qualités que la lumière peut avoir et ses effets sur l’espace. Je pense que c’est la raison pour laquelle je me suis arrêté de concevoir d’autres objets. Mais je ne suis pas une personne qui analyse, et la plupart du temps je me fie plutôt à mon intuition. J’ai préféré produire mes créations moi-même, sans l’ombre d’un doute, parce que je ne voulais pas accepter les compromis que les fabricants jugent nécessaires. Cependant, au fil des ans, j’ai également conçu un certain nombre de tables, et dernièrement aussi quelques autres objets. La plupart des tables ne sont pas adaptées pour la production en série. Elles seraient trop coûteuses. Mais en 2011, nous avons présenté la Table flottante, qui sera bientôt disponible chez Established & Sons. C’est une table sans pieds, mais avec des chaises.

Light Structure, 2013 Photo: Tom Vack and Team © Ingo Maurer GmbH

Ingo Maurer: La lumière de l’ange | Personnes

Light Structure, 2013 Photo: Tom Vack and Team © Ingo Maurer GmbH

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Knot 2, 2013 Photo: Tom Vack and Team © Ingo Maurer GmbH

Ingo Maurer: La lumière de l’ange | Personnes

Knot 2, 2013 Photo: Tom Vack and Team © Ingo Maurer GmbH

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TLmag : Concernant la création, la liberté que l’on conquiert avec difficulté n’est elle pas, au final, la seule qui autorise la transgression, l’invention, l’humour… ?

I.M. : C’est vrai ! Invention, humour, ironie et transgression sont tous des facteurs qui peuvent contribuer à rendre une pièce spéciale. La liberté de création est très importante pour moi. Je ne peux pas supporter d’être limité à un certain style. Quand je fais quelque chose de nouveau, certaines personnes pourraient encore dire : « Oh, mais c’est très différent de vos autres créations ! Que c’est-il passé ? » Je veux simplement faire ce qui m’intéresse, à un moment donné. Penser en termes de catégories est très contraignant, ce n’est pas bon. En allemand, on dit « pensée à tiroir », parce que c’est comme mettre quelque chose dans un tiroir. Vous devez entrer dans l’un ou l’autre, il n’y a pas d’entre-deux.

TLmag : Vous êtes ami avec Ron Arad. Quels sont vos points communs ? Le mélange de rigueur et d’humour ? Une profonde connaissance de la modernité de l’architecture et du design, accompagnée d’une même mise à distance critique ? Comment vous êtes-vous rencontrés ? Avez-vous des projets en commun ?

I.M. : J’ai rencontré Ron il y a très longtemps. Je ne me souviens pas précisément, probablement par l’intermédiaire de Peter Cook, lorsque Ron étudiait avec lui à Londres. En 1994, quand il a fait l’Opéra de Tel Aviv, nous participions également, en créant des luminaires pour le hall et l’extérieur. Ensuite, nous nous sommes associés pour une exposition à la Triennale de Milan en 1995. C’est un créateur puissant. Il est difficile de dire ce que nous avons en commun, et ce que nous n’avons pas en commun, mais je pense que ce n’est pas vraiment pour cela que nous sommes amis. Ce qui importe, c’est que nous pouvons parler de notre travail et de nos vies, rien que tous les deux, partager nos doutes et nos difficultés.

Tu-Be 1, 2007 Created in collaboration with Ron Arad Photo: Tom Vack and Team © Ingo Maurer GmbH

Ingo Maurer: La lumière de l’ange | Personnes

Tu-Be 1, 2007 Created in collaboration with Ron Arad Photo: Tom Vack and Team © Ingo Maurer GmbH

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Westfriedhot, Munich, 1998 Photo: Markus Tollhopf © Ingo Maurer GmbH

Ingo Maurer: La lumière de l’ange | Personnes

Westfriedhot, Munich, 1998 Photo: Markus Tollhopf © Ingo Maurer GmbH

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TLmag : Sans vous écarter du luminaire, vous avez fait tout récemment certains projets qui deviennent de véritables sculptures et même des architectures. Ainsi par exemple The Tree (2013), une immense sculpture qui marque l’entrée du prestigieux vignoble Vega Sicilia, et Broken Egg, un pavillon conçu pour le parc Inhotim au Brésil, et qui doit être inauguré courant 2014. Est-ce un tournant dans votre carrière ?

I.M. : L’Œuf cassé a aussi beaucoup à voir avec la lumière, mais il n’émet pas de lumière. Il s’agit d’un projet architectural, c’est vrai. La perception des espaces, depuis l’intérieur d’un bâtiment, et aussi depuis l’extérieur, a beaucoup à voir avec la lumière. Dans l’Œuf, les visiteurs auront une sensation très particulière de l’espace, et aussi de la lumière. Je n’aime pas penser en termes de catégories. Un tournant décisif ? Après de nombreuses années, peut-être que cela ressemblera à un tournant dans ma carrière, nous verrons bien. Cependant, il est vrai que c’est un genre de travail très différent de par toutes sortes de problèmes techniques, ainsi que la collaboration avec l’ingénieur, qui est vraiment fantastique, et le temps que cela a pris avant que le projet ne soit réalisé. Il y a beaucoup de nouveautés très étonnantes pour moi. Le Directeur de Inhotim a même agrandi un lac artificiel pour l’Œuf, qui devient ainsi également un projet de paysagisme. Il m’a beaucoup impressionné quand il m’a montré le nouveau lac. C’est un homme extraordinaire, et un grand collectionneur d’art.
L’Arbre était en fait une partie d’un projet plus vaste, dont la mise en lumière de l’intérieur des bâtiments, qui n’a pas été réalisée. Au début, lorsque nous avons conçu l’Arbre, nous avions envisagé d’y placer des pièces émettant de la lumière, mais tout en travaillant sur les modèles nous sommes arrivés à la conclusion qu’il est plus fort dans son expression sans cela. C’est ce que je pense être la liberté créatrice: de dire que, même si je suis connu pour faire des lampes et de la lumière, c’est ma liberté de créer également une pièce sans lumière, même si je suis dans le « tiroir » de la conception d’éclairage. Je ne veux pas vivre dans un tiroir !

Ingo Maurer

Ingo Maurer: La lumière de l’ange | Personnes

Ingo Maurer

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