Office Kersten Geers David Van Severen: Définir les paramètres
Texte par TLmag
Brussels, Belgique
27.10.16
L’architecture de Kersten Geers et David Van Severen est un compromis entre la théorie et la pratique. Pendant un entretien qu’ils ont accordé à TLmag, ces architectes nous ont confié la réflexion sur laquelle repose deux de leurs récents projets : le bâtiment du campus de la Radio Télévision Suisse (RTS) à Lausanne (Suisse) et la scénographie de la Biennale Interieur 2016 de Courtrai (Belgique).
Pour les architectes d’Office, l’architecture sert à encadrer des contenus, à explorer des principes et des règles et à parvenir à des compromis entre les espaces, les matériaux et le milieu environnant. Ils ont mis au point leur méthode au fil d’environ deux-cents projets qu’ils ont menés depuis la fondation d’Office Kersten Geers David Van Severen, en 2002, en particulier entre la Belgique, la France, la Suisse et les États-Unis.
David Van Severen & Kersten Geers, © Tine Cooreman
David Van Severen & Kersten Geers, © Tine Cooreman
×L’architecture de Kersten Geers et David Van Severen est profondément ancrée dans la théorie et l’histoire de l’architecture, deux disciplines qu’ils parviennent à réconcilier à travers un solide travail technique et technologique. L’union de la théorie et de la pratique constitue en effet le cœur de leur architecture : ils sont tous les deux profondément fascinés par les règles et les principes mais admettent que ce qui importe en fin de compte, c’est ce qu’un espace nous inspire, quelle que soit la théorie sur laquelle il repose. Nous nous sommes entretenus avec Kersten Geers et David Van Severen dans la salle de réunion de leur nouveau studio, situé au dixième étage d’un bâtiment administratif présentant à première vue la même simplicité visuelle que leur architecture : des poutres et des colonnes blanches en béton sans prétention y encadrent les lignes élancées de cet espace, dont les deux côtés donnent sur la ville de Bruxelles. Également peint en blanc, un plafond en béton brut est éclairé par une série de lampes fluorescentes recouvertes de bandes fonctionnelles en métal plié.
« Nous disons souvent que l’architecture constitue à nos yeux une discipline permettant de rechercher un ensemble de principes formels sans réellement savoir ce que l’on poursuit, explique Kersten Geers. Il ne s’agit pas nécessairement d’un effort de réduction, mais plutôt d’une démarche visant à accumuler des connaissances tout au long du parcours. Ce compromis entre le rythme et l’organisation renvoie à une idée classique. Nous ne sommes pas néo-classiques, bien que nous essayions d’être littéraux et de traduire différents éléments ou d’en révéler les proportions. Nous sommes convaincus que certaines dimensions ou échelles fonctionnent mieux que d’autres. Notre collaboration repose avant tout sur notre vision partagée de ce qui fonctionne ou non, de ce qui est beau ou non ; cette vision est à la base de nos derniers travaux en date, explique-t-il. C’est exactement ça : il s’agit de faire quelque chose de beau, des espaces équilibrés dans lesquels il fait bon vivre. Cet objectif a guidé notre travail et nous a en quelque sorte permis d’aborder certains sujets théoriques sans que le bâtiment ne se transforme pour autant en une simple transposition de ces idéaux. Nous avions coutume de dire que nous recherchons un certain hédonisme : un projet ne présente pas d’intérêt si le public n’en comprend que les différentes couches ; il s’agit d’apprécier l’espace. C’est très important pour nous. »
« Nous avons beaucoup parlé de l’idée d’encadrer le contenu, mais les paramètres nous importent également, explique David Van Severen. Comment définir un paramètre ? Une pièce constitue un type de paramètre ou de cadre. C’est quelque chose qui définit notre façon de travailler. Nous avons commencé avec des constructions, mais ils nous arrive de dire qu’il s’agit d’une sorte de manifeste de la construction. Les créations parlent également d’elles-mêmes : elle jouissent d’une existence à part entière, bien qu’elles témoignent des nombreuses idées dont elles sont nées. »
Biennale Interieur Kortrijk 2016. Exhibition design in coll. with artist Richard Venlet & graphic designer Joris Kritis, collages
Biennale Interieur Kortrijk 2016. Exhibition design in coll. with artist Richard Venlet & graphic designer Joris Kritis, collages
×Répondre à des besoins futurs
En 2014, Office Kersten Geers David Van Severen a gagné un concours d’architecture pour la Radio Télévision Suisse (RTS) à Lausanne, en Suisse. Le bâtiment du campus de la RTS se trouvera sur un campus qui s’est progressivement agrandi depuis les années 1970. Aujourd’hui, le cœur de ce campus est un centre d’apprentissage conçu par le cabinet d’architecture SANAA. Kersten Geers et David Van Severen qui viennent en Suisse depuis de nombreuses années reconnaissent que ce pays les intéresse beaucoup. Tous deux enseignent à Lausanne et y font parfois des séjours pour le travail. « Ce pays vous donne l’impression de vous adopter petit à petit, déclare Kersten Geers. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, mais c’est un fait. » Le campus de la RTS recouvre environ 35 000 m2, principalement consacrés à la production radiophonique. Au vu de l’évolution rapide actuellement traversée par les médias, le bâtiment doit toutefois être suffisamment flexible pour pouvoir également répondre à d’éventuels besoins futurs.
« Ce bâtiment pourrait presque être comparé à une ville qui ne dort jamais, dans la mesure où il abrite des espaces intérieurs conçus pour une production en continu. Il est structuré par de vastes espaces indépendants, comme de grands studios et une médiathèque. Comme pour nos autres projets architecturaux, nous pensons qu’il est possible de définir un ensemble de paramètres, c’est-à-dire des enveloppes, qui soient relativement autonomes. On peut ensuite créer un programme qui soit constamment en mouvement, explique Kersten Geers. « Ce projet nous renvoie à notre fascination pour des aspects très techniques qui sont combinés à la théorie et l’histoire de l’architecture, poursuit David Van Severen. Ce bâtiment s’efforce de combiner ces considérations, qui constituent probablement une approche moins courante en Suisse. Construire avec une certaine économie de moyens est une idée qui nous vient de Belgique et qui convient parfaitement à un immeuble consacré à une activité médiatique. En fin de compte, en quoi consiste un tel bâtiment ? Il s’agit d’un espace à la fois très technique et hautement virtuel qui crée quelque chose de
Réseaux idéaux et échelle urbaine
On peut retrouver ce même genre de principes enfouis dans la conception de la Biennale Interieur, un salon du meuble qui se tiendra en octobre 2016 à Courtrai, en Belgique. Il y a une dizaine d’années, Kersten Geers et David Van Severen ont transformé le plan directeur des halles de Courtrai en redessinant son espace d’exposition et l’entrée du salon. En matière de scénographie, ils collaborent étroitement avec leurs partenaires récurrents, l’artiste Richard Venlet et le designer graphique Joris Kritis. La Biennale Interieur fêtera son vingt-cinquième anniversaire cette année sur le thème de l’édition du Silver Lining. Dans leur conception, Office mettra en valeur les couloirs et les galeries de la Biennale en recouvrant leurs plafonds de « tentures argentées » constituées d’un aluminium protégeant des rayons du soleil également employé dans d’autres projets. « Deux éléments clés sont à relever : l’idée d’urbanisme et celle de réseau idéal, explique Kersten Geers au sujet de la scénographie. Nous avons eu le sentiment qu’ils pourraient s’associer de façon intéressante à ce que l’on pourrait appeler le joyeux désordre d’un salon du meuble. Un salon se compose de stands qui s’efforcent d’optimiser l’espace ; c’est l’idée de la répartition de l’espace. »
« Il était essentiel à nos yeux de ramener la Biennale Interieur au complexe de Courtrai et de travailler sur celui-ci comme sur un espace urbain doté de zones et d’éléments plus ou moins définis, poursuit-il. En ramenant à Kortrijk Xpo la programmation parallèle depuis le centre ville, où elle s’est tenue il y a deux ans, nous avons permis à la programmation principale et parallèle de se rencontrer : on pourra désormais voir le possible avenir alternatif du design mobilier sur le même site que le reste. »
« Nous pensons qu’il est possible de transformer Kortrijk Xpo en une véritable ville, conformément à ce que nous avons toujours imaginé dans l’architecture et le plan directeur, ajoute David Van Severen. Nous disposons désormais de ce plan, de l’architecture ainsi que de l’intérieur. C’est très intéressant. Nous sommes profondément convaincus qu’en mettant l’accent sur le réseau, qui constitue la partie cachée de l’ensemble du complexe, nous pouvons épurer le salon et y faciliter la navigation. En nous concentrant principalement sur le réseau, nous pouvons faire fusionner les différentes échelles. »
Interview de Heini Lehtinen